25 avril 2008

Mai 1968 : tout était possible !

Pouvoir Ouvrier « Ligue pour une Internationale Communiste Révolutionnaire » section française octobre 2000 – extraits -

Mai 68 était bien plus qu’une série de manifestations étudiantes. Avant tout, il s’agissait du plus grand mouvement de grève qu’ait jamais connue l’Europe. Cette explosion de colère n’était nullement "spontanée" au sens où elle serait venue de nulle part, n’aurait aucun signe précurseur ni aucune raison d’être. Les causes du conflit s’enracinaient profondément dans la société française de l’époque.

Les étudiants avaient de quoi se révolter : amphithéâtres archi-bondés, facultés vétustes et un nouveau système de diplômes qui allait créer des injustices flagrantes. La masse des jeunes était également opposée à la guerre du Vietnam et à la tentative de l’impérialisme nord-américain de rétablir son contrôle sur le Sud-Est asiatique. En France cette sympathie spontanée fut encore plus forte, en partie à cause des liens entre le PCF et le gouvernement nord-viêtnamien.

Il en allait de même pour les travailleurs. En 1967 et pendant les premiers mois de 1968, une série de grèves, d’occupations et de confrontations avec les forces de l’ordre" montra que la classe ouvrière devenait de plus en plus combative.


En 1966, les salaires des travailleurs français étaient les plus bas de la CEE, les semaines de travail les plus longues (jusqu’à 52 heures dans certaines branches !), et les impôts les plus élevés.

Pour mieux faire face à la fin des "trente glorieuses" qui s’annonçait à l’échelle mondiale, notamment lors de la crise de l’étalon-or, de la dévaluation de la livre britannique en 1967, et de la levée des contrôles douaniers au sein de la CEE prévue pour juillet 1968, le gouvernement Pompidou prépara de nouvelles attaques.

A partir de mars 1967, il commença à rédiger des ordonnances pour faire passer les pires attaques, notamment contre la Sécurité Sociale et l’emploi.

Les syndicats montrèrent à plusieurs reprises leur capacité à mobiliser les travailleurs, notamment autour de la Sécurité Sociale. Ainsi, le 13 décembre 1967, des millions de travailleurs participèrent à une journée d’action organisée par toutes les centrales syndicales pour protester contre le chômage et les attaques.

Malgré le succès de cette journée, la quatrième protestation du genre, les syndicats ne proposèrent rien, sinon une nouvelle journée d’action... en mai 1968.


Sous les pavés, la grève
...
Ces combats, relayés par la radio, frappèrent "l’opinion publique", déjà favorable aux étudiants. Il était évident que le gouvernement courait au désastre.

Ce que constata Pompidou, de retour d’un voyage officiel en Afghanistan. Le 11 mai il annonça que le gouvernement allait céder sur toutes les revendications principales et que la Sorbonne serait réouverte aux étudiants le lundi 13 mai. En laissant aux étudiants leur victoire, Pompidou espérait désamorcer la crise. Il n’en fut rien.

Le 13 mai entre 600.000 et 1 million de manifestants défilèrent dans une énorme manifestation de solidarité entre syndicats et étudiants. Partout dans le pays, des millions de travailleurs firent grève, suivant les mots d’ordre des centrales syndicales. Le mouvement, d’abord limité aux seuls étudiants, devint un mouvement de classe et un mouvement national.
Cela aurait pu être la fin de l’histoire. Les dirigeants syndicaux espéraient utiliser l’élan des étudiants pour renforcer leur campagne contre les ordonnances sur la Sécurité Sociale, mais sans chercher à se servir des moyens politiques d’occupation et de manifestation employés par les jeunes. Loin de là. C’est sous la forme d’une pétition que les syndicats lancèrent leur campagne, le 15 mai !


Très rapidement, la classe ouvrière presque toute entière se mit en grève. Parmi 15 millions de travailleurs, près des deux-tiers firent grève. Plus de 4 millions pendant trois semaines, plus de 2 millions pendant un mois.

Les revendications étaient diverses : hausses de salaires, contre l’autoritarisme des patrons, pour la défense de la Sécurité Sociale. La grève toucha toutes les couches de la société.


Les journaux, puis l’ORTF, l’Opéra, l’Odéon, les chauffeurs de taxi et même les laboratoires du Commissariat à l’Energie Atomique de Saclay où des conseils ouvriers furent organisés, se mirent de la partie. De même, certains secteurs paysans soutinrent la grève.

Les conséquences furent évidentes : absence de transports, pénurie d’essence, soucis de ravitaillement. Comme toute grève générale, celle de mai 68 posait clairement la question : qui dirige ? Le problème était que les staliniens se mettaient à répondre : "les capitalistes !"

Le PCF au secours de la bourgeoisie
...
La grève générale, bien réelle, était entièrement non-officielle. Aucun syndicat n’y avait appelé, aucun n’en revendiquait la paternité. Et pourtant les syndicats, et d’abord la CGT soutenue par le PCF, cherchaient à en tirer profit et à limiter les dégâts.

D’abord, il fallait immuniser les travailleurs contre l’influence des "groupuscules". L’Humanité stigmatisa les participants de la "nuit des barricades" comme des "provocateurs" ou encore comme "la pègre".

A partir du 15 mai, des manifestations se rendaient régulièrement de la Sorbonne à Billancourt. La CGT colla des affiches autour de l’usine, mettant en garde les travailleurs contre "des milieux étrangers à la classe ouvrière" qui "servent la bourgeoisie"
.…

Le même jour, De Gaulle joua sa dernière carte en annonçant pour le mois de juin la tenue d’un référendum sur la "participation", déclarant qu’il démissionnerait si les électeurs votaient "non". Cette proposition fut mal accueillie à droite et à gauche. Mendès-France, dirigeant du PSU, déclara qu’"on ne discute pas un référendum, on le combat". Seul le PCF dît qu’il jouerait le jeu bonapartiste, en appelant au Non.

Profondément ébranlé par l’inefficacité de la tactique de De Gaulle, Pompidou entama les négociations de Grenelle. Les dirigeants syndicaux se sentaient à l’aise. Ils comprenaient bien le sens de la négociation, et, eux aussi, voulaient qu’elle aboutisse, pour mieux retrouver leur emprise sur les travailleurs et leur rôle d’interlocuteur auprès du gouvernement.

A partir du 27 mai, la tâche des dirigeants syndicaux fut de vendre l’accord. A Billancourt, Séguy, dirigeant de la CGT, fut hué par les jeunes travailleurs qui rejetèrent la pauvre augmentation de 7% et le retrait de certaines attaques contre la Sécurité Sociale ou l’âge de la retraite, fruits pourris des compromissions des directions syndicales.

Partout ce fut la même histoire : la reprise ne se faisait pas. Craignant le débordement, le 29 mai, le PCF et la CGT appelèrent une nouvelle fois à manifester. 600.000 personnes descendirent dans la rue, scandant "gouvernement populaire". De Gaulle, effrayé, quitta la France pour Baden-Baden, où il rencontra le Général Massu. A Paris certains ministres commençaient à brûler les archives gouvernementales. La fin du régime était dans l’air.

Le lendemain, pourtant, c’était le début de la fin pour le mouvement.Connaissant bien le crétinisme électoral du PCF, De Gaulle opta pour le piège électoral en dissolvant l’assemblée. En même temps une imposante manifestation gaulliste était organisée aux Champs Elysées pour marquer la volonté de reprise de l’initiative par le pouvoir.

Le PCF, qui avait déjà montré sa volonté de participer au référendum, sauta sur l’occasion pour "renforcer" sa base parlementaire. Il appuya la reprise pour mieux récolter les fruits électoraux, le 23 juin. Ou du moins, c’est ce qu’il croyait. Selon lui, le "gouvernement populaire" sortirait des urnes. Il utilisa toute sa force - notamment à travers l’action de la CGT - pour convaincre les travailleurs de rentrer et de canaliser leur action dans l’impasse électorale.

Pourtant la lutte fondamentale pour l’extension et la généralisation des revendications du mouvement, l’appel à la population rurale et aux appelés du contingent, sur la base du contrôle ouvrier, la création d’une assemblée constituante et la lutte pour des conseils ouvriers était entièrement possible. Le refus de remplir cette tâche par la CGT et le PCF fut entièrement politique : ils ne souhaitaient pas la disparition de la République dans le soulèvement des masses.

Les élections et après
Déçus mais pas battus, les travailleurs reprirent le travail petit à petit, faute d’une autre issue. Mais pas sans heurts.


Aux élections, ce fut la déroute généralisée de la gauche, et notamment du PCF. Les gaullistes obtinrent 55% des voix et reprirent le pouvoir, tandis que le PCF tombait de 73 sièges à 34. Plus frappant encore, dans les circonscriptions situées autour des grandes usines, où on avait pu voir son rôle, le PCF fut clairement rejeté.

Pourquoi une telle défaite?

D’abord, parce que le système électoral était profondément anti-démocratique : la jeunesse de moins de 21 ans n’avait toujours pas le droit de voter, et autour de 300.000 jeunes qui avaient atteint l’âge de la majorité ne purent voter à cause du refus de gouvernement d’actualiser les listes électorales.

En même temps, il n’y avait que le PCF en lice ; ni la SFIO ni le PSU - les deux autres forces de la gauche réformiste - n’avait un réel soutien de masse. Enfin, il faut ajouter le fait que, pour des centaines de milliers de jeunes et de travailleurs, les élections étaient "un piège à cons".

Le PCF paya cher le rôle qu’il avait joué en mai. Depuis, il n’a cessé de perdre son influence auprès des travailleurs en général, et des jeunes en particulier. Il avait la chance d’en finir avec la Vème République ; il a choisit de la préserver.

De plus, le vide politique à gauche que les dirigeants réformistes avaient pu constater lors des jours de mai et, plus encore, lors des élections, fut comblé en 1971 par la fondation du PS.

Bien qu’il n’ait pas rempli toutes ses promesses, toute sa potentialité, le mouvement de mai eut des conséquences profondes.

Par la suite, "l’Etat fort" gaulliste fut largement démantelé sous Pompidou et la société française ouvrit ses vannes... pour mieux récupérer les éléments les plus vénaux.

De même, la politisation de toute une génération de jeunes et l’expérience de la plus grande grève générale que l’Europe ait jamais connue, demeurent toujours dans les esprits.

Mais l’Histoire n’est pas seulement faite de ce qui s’est passé. Elle est aussi ce qui aurait pu se passer. Et là, la réponse est claire. Mai 68 n’était pas la révolution, mais elle aurait dû l’être. La " vacance du pouvoir" constatée durant les jours de mai aurait pu être remplie par les masses travailleuses et par les jeunes.

Les formes de dualité de pouvoir embryonnaires auraient dû être répandues partout dans le pays. Un parti révolutionnaire aurait pu canaliser l’énergie fantastique des masses vers de nouvelles formes de pouvoir, vers une confrontation décisive avec le capital et ses représentants politiques, de droite comme de gauche. Dommage. On fera mieux la prochaine fois !

Le PCF contre la révolution
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Malgré l’enthousiasme des masses, malgré la violence des confrontations avec la police, la France ne bascule pas dans la révolution ouvrière en mai 68. Pour reprendre la phrase de Trotsky à propos de juin 1936 : la situation était révolutionnaire, ou plutôt aussi révolutionnaire qu’elle pouvait l’être sans un parti révolutionnaire.

Dans certaines entreprises, la grève générale créa une dualité de pouvoir. Des dirigeants et des patrons ont été virés, et des éléments du contrôle ouvrier établis. Pourtant, il n’existait pas une dualité du pouvoir au niveau de toute la société.


Une majorité d’entreprises n’avait pas de comité de grève, et les comités qui existaient n’étaient pas composés d’autres forces que les dirigeants syndicaux locaux. Là où des comités ouvriers-étudiants existaient ils furent d’abord des lieux de discussion, non des organes de front unique pour coordonner l’action.


"Voix Ouvrière" et la grève
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L’absence d’un parti révolutionnaire, reconnu en tant que tel par les masses, était le problème fondamental de mai 68. Avant tout, le parti est le programme. La nature révolutionnaire d’une organisation ne vient pas de son auto-proclamation, ni de son implantation chez les travailleurs : en dernière analyse, elle vient du programme avancé par l’organisation. Et là-dessus, toutes les organisations se réclamant du trotskysme ont fait faillite.…

Le 22 mai, VO avança les objectifs suivants pour le mouvement :"les occupants ne rentreront pas chez eux, le travail ne reprendra pas avant qu’au moins les travailleurs aient obtenu pleine et entière satisfaction sur les revendications suivantes :

  1. Pas de salaire inférieur à 1000f.
  2. Retour immédiat aux 40 heures (ou moins, partout où c’est possible) sans diminution de salaire, avec répartition du travail entre tous.
  3. Paiement intégral des heures de grève, sans lequel le droit de grève ne signifie rien.
  4. Libertés syndicales et politiques entières dans les entreprises : droit de libre circulation de la presse et des idées, droit de réunion pour tous, à l’intérieur des entreprises.
"Cette série de revendications, avancée au moment où la grève générale était en pleine explosion, où 10 millions de travailleurs faisait grève et où la question du pouvoir était posée, était complètement inadaptée à la situation. Sur le fond, VO ne parvenait pas à avancer des revendications autres que celles déjà soulevées par les travailleurs.

Ce suivisme à l’égard de la conscience ouvrière spontanée s’accompagna d’un autre suivisme, à l’égard de l’action des étudiants.

Le 28 mai, VO écrivait qu’il faut "continuer le combat commencé sur le terrain où il a commencé, dans la rue. Ce n’est que dans la rue que l’on conteste réellement le pouvoir de Gaulle car ce n’est que là qu’est mise en cause la force qui le soutient : les bandes armées de ses policiers.

Mais à la fin du mois de mai la contestation réelle du pouvoir avait lieu d’abord dans les entreprises occupées et non plus "dans la rue". Pire, les combats de rue avec la police - avant tout une tradition parisienne et étudiante - aussi impressionnants et médiatiques soient-ils, n’allaient pas ébranler la République.

L’organisation des travailleurs dans des comités de grève et des milices, l’occupation des entreprises, étaient le moyen principal de construire un réel contre-pouvoir. Pour mettre en cause "les bandes armées", il fallait d’abord que la classe ouvrière se montre capable d’organiser la société autrement, de rompre avec les illusions parlementaires et les dirigeants réformistes - politique et syndical - et pas seulement de gagner une bataille de rue.

D’où l’importance de donner aux travailleurs des structures -- notamment au sein des syndicats et dans les entreprises (syndicalisation massive, mouvement de la base, élection des comités de grève) - capables de mener à la rupture avec les directions réformistes, et de lutter pour une assemblée constituante, convoquée et défendue par les formes d’organisation que se donne la classe ouvrière, comme partie intégrante de la lutte pour la création de conseils ouvriers.

Si VO avait été plus nombreuse, plus influente, telle "le" parti révolutionnaire, quelle aurait été la conséquence de cette politique ? Ou bien VO aurait constitué "l’aile gauche" d’un mouvement ouvrier spontané suivant des revendications économiques, ou bien elle aurait sombré dans un aventurisme petit-bourgeois. Dans tous les cas de figure, sa méthode centriste et suiviste n’aurait pas permis de conduire les travailleurs à la victoire.

5 Comments:

Blogger ISSY said...

1968-2008 : 40 ans déjà !

Un important mouvement social, à la fois étudiant et ouvrier, qui s'inscrivait dans un ensemble d'événements dans les milieux étudiants d'un grand nombre de pays de part et d’autre du "Rideau de fer"...
En France, ces événements prennent alors une ampleur particulière car ils sont accompagnés de puissantes manifestations d'étudiants, puis de la plus importante grève générale depuis le Front populaire.
Elle paralyse complètement le pays .
Le président Charles de Gaulle qualifie cette contestation de « chienlit ».

En 2008, ce moment "anniversaire"
(dans un contexte social et politique, bien différent) mérite un "retour sur 68 " pour un débat :
-Quel est l'héritage de 68 ?
-La révolution annoncée a échoué...
-Que sont devenus les acteurs de ces mouvements ?
-Un nouveau 68 est-il envisageable ?
...
Autant de questions que le café politique devrait poser.

Et pour suivre, aujourd'hui, quant est-il de la réforme... à défaut de révolution ?

25 avril, 2008 22:48  
Anonymous Anonyme said...

Les médias fêtent à grands renforts le 40° anniversaire de mai 68 !
Grand évènement de notre société. Un retour sur cette période mérite débats... même si (et surtout à cause de cela) le candidat à l'élection présidentielle, devenu président de la République, a un temps affirmé sa volonté de "liquider l'héritage de Mai 68" !

28 avril, 2008 20:10  
Anonymous Anonyme said...

"Mai 68 appartient à tout le monde !" c'est ainsi que quelques 'jeunes' ont lancé une originale mobilisation :
Débattre de mai 68, commenter l'élan de la jeunesse de l'époque... et évoquer l'héritage !
Même André GLUCKSMANN et Alain FINKIELKRAUT sont annoncés pour animer certaines rencontres...

29 avril, 2008 20:46  
Anonymous Anonyme said...

"Ils avaient des pavés...nous avons des idées...Osons l'ambition, osons la réussite" Quelques nouveaux slogans en cours...

30 avril, 2008 21:07  
Anonymous Anonyme said...

Régis DEBRAY lui-même !

Agrégé de philosophie, "militant politique" à Cuba et en Amérique latine de 1965 à 1967...Il deviendra chargé de mission auprès de François Miterrand, pour les relations internationales de 1981 à 1986.
Il est revenu sur "les évènements de 68" sur France 5, en précisant à ce propos :
"...la victoire de l'individu sur le collectif, c'est aussi l'égoïsme.... voire le retour à tous les archaismes...

04 mai, 2008 13:05  

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