10 novembre 2006

« La vérité ne fait pas une politique… » par Nicolas Baverez


Le Point du 5 octobre 2006 – extraits -

« Le retour en force de l’Histoire au début du XXI° siècle, placé sous le signe du renouveau des fanatismes, de la guerre et des crises économiques, a dissipé le mythe de la fin du politique et provoqué un regain d’attention des citoyens des démocraties envers le choix et l’action des dirigeants. …

La vérité ne fait pas une politique
D’abord, parce que, dans le domaine des affaires publiques plus que dans tout autre, la vérité est relative, fragile, précaire. Ensuite, parce que la politique, dont le premier matériau consiste dans les passions et les intérêts des hommes et dont l’objectif doit tendre vers l’action, comporte une part irréductible de calcul, de manœuvre, d’intimidation, de dissimulation, notamment dans la conduite de la politique extérieure. Rien n’est donc pire que la vérité en politique, sinon le mensonge. Car il est totalement vain pour les dirigeants de croire que l’on peut tromper les citoyens ou les nations sans être en retour trompés par eux. Le mensonge demeure l’arme de destruction massive contre la liberté et l’instrument privilégié des despotes.

Il n’est pas de système politique qui puisse durablement résister à la divergence entre les mots et la réalité, entre les ambitions et les moyens d’action. Aussi le redressement de la France passe-t-il par la réappropriation de la politique par les citoyens, mais aussi par la prise en compte des changements du monde. Au lieu de cultiver le mythe de l’expression française, qui n’est qu’un paravent du conservatisme au profit douteux de la nostalgie ou de la compassion, l’heure est à l’explication de la grande transformation du monde et à la définition d’une stratégie pour moderniser la France à marche forcée. A droite comme à gauche, le clivage entre conservateurs et réformateurs recoupe l’opposition entre les machiavéliens, qui érigent le mensonge en stratégie et en mode de gouvernement, et les volontaristes, qui, avec François FILLON, dans un essai lucide et désillusionné, partagent la conviction de Mendès France que ‘la France peut supporter la vérité’.

Au seuil d’un débat décisif, il appartient à Ségolène Royal et à Nicolas Sarkozy de faire leur choix entre la modernisation de la France ou le culte des illusions du passé. Ce choix cardinal contient le principe de la rupture, qui doit d’abord intervenir après un quart de siècle de mensonge et de démagogie. Il déterminera la capacité à être élu(e), mais surtout à présider et transformer le pays. Sans cette heure de vérité, il restera très difficile de relever la France. Parce que la première menace contre la liberté n’est pas la violence, mais le mensonge. Parce que la liberté n’est pas vraie quant la vérité n’est pas libre. »